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Prix littéraire des collégiens de Sion 2023 attribué à Sarah Jollien-Fardel

Après avoir figuré parmi les finalistes du Goncourt, remporté le Prix du roman Fnac et le Goncourt des détenus, Sarah Jollien-Fardel est, toujours avec son premier roman intitulé Sa préférée, la lauréate 2023 du Prix littéraire des collégiens de Sion. Une cérémonie était organisée le 12 mai dernier aux Arsenaux.

Les étudiants inscrits pour participer au vote et pas seulement les membres du jury ont pu bénéficier d’une rencontre avec les auteurs des six livres sélectionnés. Le matin, les étudiants du Lycée-Collège de la Planta (LCP) ont pu échanger avec la gagnante ainsi qu’avec Thomas Flahaut et Guillaume Pidancet et ceux du Lycée-Collège des Creusets (LCC) avec Fanny Desarzens, Matthieu Mégevand et Abigail Seran.

Zoom sur les rencontres organisées au LCP. En assistant à certaines d’entre elles, ce que l’on retient c’est la qualité des échanges. Trois groupes, composé d’une quinzaine d’étudiants de 2e et de 3e années, ont pu dialoguer confortablement avec chacun des trois auteurs pendant 1h15, ce qui permettait aux lecteurs de poser toute une série de questions.

 

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Sarah Jollien-Fardel lors de la cérémonie de remise du Prix littéraire des collégiens

 

Lors d’un des moments de partage avec Thomas Flahaut, récemment primé pour son roman Les nuits d’été dans le cadre du Roman des Romands, sorte de Goncourt suisse des lycéens, il est notamment question d’imagination et d’intelligence artificielle, son livre se déroulant dans une usine peuplée d’opérateurs et de machines. A propos de son style, l’auteur explique: «Je n’écris pas comme je parle, mais j’en arrive à parler comme j’écris.»

Dans le cadre d’une des conversations avec Guillaume Pidancet, co-auteur avec Eric Bulliard et Michaël Perruchoud de Ceux qui sont en mer, c’est autant le récit historico-sportif que le procédé de la co-écriture qui intriguent. Au terme de cet échange, l’auteur, invité à dévoiler ses projets littéraires, indique que son souhait serait de combler le manque de narration incitant à porter un autre regard sur le monde. «Je vois une responsabilité des créateurs de s’emparer de l’utopie pour donner l’envie d’agir», argumente-t-il.

Avec Sarah Jollien-Fardel, si les thématiques des violences intra-familiales et de l’entrecroisement entre fiction et réalité ont bien sûr été abordées, l’importance du Valais dans ce récit a été soulignée. Une étudiante a du reste fait une déclaration touchante à la romancière en lui disant combien elle avait aimé retrouver des lieux familiers dans l’histoire, l’attachement à la terre d’origine étant aussi l’un des thèmes du livre.

Lors de la remise du Prix, Sébastien Rey, professeur de français au LCC, officiait en maître de cérémonie. Sylvie Béguelin, directrice de la Médiathèque Valais et présidente du jury composé de 20 collégiens, a mentionné la richesse et la finesse des délibérations ainsi que la concordance du choix avec celui du public, à savoir les étudiants inscrits. «Les discussions ont été respectueuses, parfois joyeuses, parfois un peu plus vives et parfois émotionnelles», a-t-elle précisé. Faisant part des commentaires des collégiens, elle a évoqué l’originalité du livre Ceux qui sont en mer, le motif de la course à la voile étant peu traité en littérature et en tous les cas pas de cette manière, ainsi que l’actualité du roman Les nuits d’été, l’univers de l’usine faisant écho aux interrogations sur l’IA. Francis Rossier, recteur du LCP, a mis en avant le travail mené par quelques-uns des professeurs de français des collèges sédunois pour offrir aux étudiants une sélection de lectures de qualité. Afin de justifier l’importance de ce Prix lancé en 2008 et attribué tous les deux ans, il a par ailleurs cité un article du journal français Le Monde intitulé «Ce grain de folie que les employeurs cherchent aussi» et vantant les «mad skills». Quant à Sarah Jollien-Fardel, elle a exprimé sa vive émotion, racontant son entrée tardive en littérature alors que c’était son souhait de jeunesse, démontrant ainsi par son parcours et son discours combien les collégiens devaient croire en leurs rêves.


INTERVIEW

 

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James Formis et Jean Démurger, collégiens en 3e année

 

Pour participer au Prix littéraire des collégiens, les élèves s’y inscrivent librement, toutefois Fabienne Ducrey, la professeure de français de James Formis et Jean Démurger, avait décidé de faire vivre cette année l’aventure à toute une classe, en l’occurrence dans l’option si l’on se fie aux préjugés la moins littéraire possible, associant maths et physique. Le pari pouvait paraître audacieux.

Comment avez-vous vécu le choix de votre professeure de français de vous faire participer au Prix littéraire des collégiens?

James: Avec Jean et d’autres personnes de la classe, nous lisons avec plaisir, aussi nous avons perçu cette décision très positivement. Nous sommes certes dans une option scientifique, mais nous aimons aussi le cinéma, les arts et la littérature.
Jean: Je suis content d’avoir pu bénéficier de cette ouverture à la littérature romande contemporaine. Autrement, je n’aurais probablement jamais lu ces livres-là.

Comment évaluez-vous globalement la sélection et quelle était votre préférence?

Jean: J’ai été bluffé par la diversité des six livres sélectionnés ayant été pris par chacune des histoires. Mes deux livres préférés étaient Galel et Les nuits d’été, mais Sa préférée est également un très bon livre.

«J’ai été bluffé par la diversité des six livres de la sélection.»
Jean Démurger


James: Comme Jean, je considère que la sélection était judicieuse. Personnellement j’ai adoré Les nuits d’été, parce que ce livre questionne notre société, et j’ai beaucoup aimé Tout ce qui est beau.

Etiez-vous membres du jury?

James
: Pour ma part, j’ai eu la chance d’en faire partie. Entendre les avis d’autres lecteurs était enrichissant. Nous avons débattu pendant trois heures sans voir le temps passer et c’était une expérience unique d’avoir à chercher des arguments pour et contre les six livres, avant d’en retenir trois, puis deux, et enfin un seul.

«Entendre les avis d’autres lecteurs était enrichissant.»
James Formis


Jean
: Je n’ai pas été tiré au sort, mais avec mes activités musicales à côté, il aurait été difficile d’ajouter cela à mon programme déjà chargé. J’espère avoir un jour l’opportunité de participer à un jury littéraire, car je suis persuadé que ce doit être assez exceptionnel de défendre des livres qui nous ont touchés.

Rencontrer trois auteurs de la sélection, cela a-t-il donné une saveur supplémentaire à vos lectures?

James
: C’était passionnant d’écouter les auteurs parler des livres qu’ils ont écrits. J’ai particulièrement apprécié l’ambiance détendue de ces échanges.
Jean: En tant que collégien, j’estime important de pouvoir rencontrer des auteurs afin de mieux comprendre le processus de création.

A vous écouter, c’est une aventure à recommander…

Jean: Oui, cependant il ne faudrait pas faire cela qu’avec la littérature. On pourrait par exemple imaginer un Prix en lien avec le cinéma.
James: Et même avec la science. Ce sont des occasions de découvertes.


INTERVIEW


Sarah Jollien-Fardel, lauréate du Prix littéraire des collégiens 2023

Après sa scolarité à Ayent et Sion, Sarah Jollien-Fardel est devenue employée de commerce et c’est en tenant un blog qu’elle a été repérée. Elle a d’abord travaillé comme journaliste spécialisée dans la mode, puis jusqu’il y a peu en tant que rédactrice en chef du magazine Aimer Lire des librairies Payot. L’écriture a toujours fait partie de sa vie et elle se souvient avec précision de la sortie dans une grande maison d’édition parisienne de Rapport aux bêtes de Noëlle Revaz, l’impossible devenant à ses yeux possible.

Enfant et adolescente, quel était votre rapport à la lecture?

J’ai toujours aimé lire. A mon époque, il y avait la littérature enfantine, avec la série des Oui-Oui, le Club des Cinq ou la comtesse de Ségur, puis la littérature pour adultes, tandis qu’aujourd’hui il y a un entre-deux avec d’excellents livres pour la jeunesse. Dans mon roman, qui n’est pas une autofiction, certains passages sont néanmoins tirés de la réalité, comme la référence à Fantômette ou à Guy des Cars.

Dans Sa préférée, l’Ecole normale est un lieu associé au répit. Pourquoi lui avez-vous donné ce rôle?

Je rêvais d’être soit libraire, soit prof, soit journaliste, même si j’ai commencé par être employée de commerce dans le but d’être rapidement indépendante. L’Ecole normale faisait donc partie de mon imaginaire. Dans mon roman, en état de survie, Jeanne avait besoin d’une échappatoire et elle trouve un peu d’apaisement pendant les cinq années passées à l’Ecole normale.

L’une des étudiantes a partagé sa joie de voir le beau Valais servir de décor à votre histoire pourtant sombre…

Le Valais a une dimension romanesque. Pour autant, je n’ai pas maîtrisé grand-chose dans mon roman et je n’avais pas la volonté de lui donner une place aussi importante. J’avais juste envie d’en parler, car c’est là d’où je viens. Journaliste dans le milieu de la mode, allant souvent à Paris, j’ai toujours revendiqué avec fierté mes racines valaisannes.

«Le Valais a une dimension romanesque.»
Sarah Jollien-Fardel

Finaliste du Goncourt des lycéens et figurant dans la liste des derniers nominés, que retenez-vous de l’expérience de la tournée?

La tournée du Goncourt des lycéens, c’est une grosse machine rodée et il y avait cette année 15 romans en lice. Dans certaines des villes où nous avons fait halte, nous étions plusieurs sur scène dans des théâtres ou des cinémas face à des centaines de jeunes. Tout était chronométré, avec un ordre de passage et un modérateur. Malgré cela, je dois avouer que c’est ce Prix que j’aurais aimé par-dessus tout recevoir, parce qu’en tant que lectrice je me fie beaucoup au Goncourt des lycéens qui n’est absolument pas influencé par des questions de maisons d’édition ou autre.

Dans quel état d’esprit avez-vous participé aux rencontres avec les étudiants du LCP et reçu ce Prix littéraire des collégiens de Sion?

Lors des rencontres avec les collégiens, j’ai été touchée par la fraîcheur et l’intelligence de leurs questions. J’ai fait plus d’une centaine de rencontres depuis la sortie de mon livre et aujourd’hui j’ai eu droit à des questions qui ne m’avaient jamais été posées, ce qui est agréable. J’étais déjà fière d’être sélectionnée pour ce Prix littéraire des collégiens de Sion et en être la lauréate, cela a provoqué en moi la double joie d’avoir la reconnaissance des jeunes dans ma ville préférée. Pour reprendre les mots de Paul Auster, «plus je vieillis, plus je me rapproche de mon enfance».

 

Propos recueillis par Nadia Revaz

 



Sélection 2023: premières phrases

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Ceux qui sont en mer
«Douvres, février 1972
Après la crémation du corps de Nigel Tetley, navigateur émérite, participant au Golden Globe 1968-1969.
Il se terre au fond de la salle, trempant le sachet de verveine à petits mouvements secs dans sa tasse. Aucune pensée ne vient le tourmenter. Il ne revoit pas sa vie, il ne refait pas la course. La Course. Il lui concède la majuscule, comme tous ceux qui se sont lancés dans l'aventure.»
Eric Bulliard, Michaël Perruchoud et Guillaume Pidancet in Ceux qui sont en mer. Golden Globe 1968-1969 (Cousu Mouche, 2020)

 

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Galel
«Ce matin le ciel est apparu très lourd. De longues traînées bleues et grises étaient suspendues là-haut et c'était comme un grand miroir de ce qu'il y avait au-dessous. Parce que dans le dessous c'est bleu et gris, sauf si on descend encore. Si on descend il y a le vert de l'herbe et des buissons et des aiguilles des arbres, avec un peu le brun des écorces. Mais sinon c'est bleu et gris, mais c'est tous les bleus et tous les gris qui sont là. On pourrait dire que c'est un paysage un peu désolé. Mais il semble éclore tandis que le ciel se dégage lentement. Ça scintille. C'est le grand soleil qui jaillit. Et il s'étale tout entier dans la vallée. A ce moment-là ils sont dehors depuis un moment déjà.»
Fanny Desarzens in Galel (Slatkine, 2022)

 

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Les nuits d’été
«Fer brûlé et plastique fondu. La première impression après avoir passé les portes de l'atelier, c'est l'odeur.
Odeur. Bruit. Couleurs. Les opérateurs portent un polo gris identique à celui qu'on a donné à Thomas ce soir lors de son bref passage aux ressources humaines. Le gris désigne sa fonction: opérateur. Une fonction pour lui encore aussi indécise que l'est la couleur grise. L'homme qui marche devant lui s'appelle Romuald. Son polo est rouge, la couleur du chef d'atelier, la couleur du pouvoir.»
Thomas Flahaut in Les nuits d’été (Editions de l’Olivier, 2020)

 

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Sa préférée
«TOUT À COUP, il a un fusil dans les mains. La minute d’avant, je le jure, on mangeait des pommes de terre. Presque en silence. Ma sœur jacassait. Comme souvent. Mon père disait “Elle peut pas la boucler, cette gamine”. Mais elle continuait ses babillages. Elle était naïve, joyeuse, un peu sotte, drôle et gentille. Elle apprenait tout avec lenteur à l’école. Elle ne sentait pas lorsque le souffle de mon père changeait, quand son regard annonçait qu’on allait prendre une bonne volée. Elle parlait sans fin.»
Sarah Jollien-Fardel in Sa préférée (Sabine Wespieser, 2022)

 

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Tout ce qui est beau
«Dans le coche d’eau, le bois tors gémit au rythme de la houle, les linons de pluie fouettent le pont et le vent froid, dont les rafales sifflent comme un mauvais piccolo, s’engouffre dans les interstices laissés par les planches du couvert où les passagers se sont réfugiés. La tempête fait rage depuis deux jours et balaye tout le pays bavarois.»
Matthieu Mégevand in Tout ce qui est beau (Flammarion, 2021)

 

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D’ici et d’ailleurs
«Parfois, je retournais voir ma mère. Obligation filiale qui me ramenait à des rues tristes et pâles. J'évitais soigneusement les gens et les lieux, souvenirs trop lointains, embarrassants. Je garais ma voiture en bas de chez elle, montais les deux étages à pas rapides afin de minimiser le risque de croiser les voisins qui ne manqueraient pas de prendre de mes nouvelles et de déclarer sur un ton mi-dépité, mi-admiratif qu'ils se souvenaient de moi, la petite, que ces souvenirs n'étaient pas si vieux.»
Abigail Seran in D’ici et d’ailleurs (BSN Press, 2020)

 


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