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Regards de deux élèves en EPP sur les codes scolaires

Brahim et Lena sont tous deux élèves en EPP (école préprofessionnelle du secondaire II) à l’ECCG-EPP de Sierre, l’un dans la classe de Patrick Bonvin et l’autre dans celle de Karin Praplan. Tous deux ont vécu une semaine de rentrée différente, avec notamment des ateliers pour se familiariser avec le fonctionnement de leur cerveau, au sein de cette école qui chemine vers une conception plus universelle des apprentissages. Ce projet-pilote est mené sous l’impulsion de la direction et grâce aux compétences d’Anne-Claude Luisier dans le domaine des neurosciences et de la pédagogie spécialisée, ainsi qu’avec l’implication de tous les acteurs de l’école, dont la conseillère en orientation qui joue également un rôle moteur dans cette démarche. Grâce à cette expérience innovante, l’échange avec Lena et Brahim autour de la question des codes scolaires a été riche.

 

Lena et Brahim


Avant l’EPP, Brahim était élève à l’école primaire de Martigny et au CO d’Octodure, tandis que Lena a effectué sa scolarité dans le canton du Tessin jusqu’à la 6H puis l’a poursuivie à l’école primaire de Beaulieu et au CO des Liddes à Sierre. Si Brahim avait un projet, mais pas les notes suffisantes pour cette voie, Lena était dans un flou total quant à son choix pour l’avenir. Aujourd’hui, tous deux ont les idées plus claires pour leur orientation future. A l’unisson, ils insistent pour dire que l’EPP, c’est le contraire de l’image que malheureusement encore une partie de la société en a, donc tout sauf une année inutile, d’autant plus qu’ils se constituent un trousseau de clés personnalisé pour consolider leurs apprentissages.



INTERVIEW


Comment avez-vous vécu la semaine de rentrée qui se voulait différente, avec notamment des ateliers sur le fonctionnement du cerveau, pour précisément vous donner certains codes pour mieux comprendre et apprendre la matière enseignée?

Brahim:
J’ai tout de suite trouvé cela très intéressant, car on n’était pas directement dans les branches, mais dans la dimension psychologique, en reliant connaissances et compétences. Le but, c’était concrètement de mieux comprendre comment on apprend. Avant cela, je n’avais aucune connaissance dans ce domaine et je n’avais pas idée de quoi j’étais capable.

Lena: Cette première semaine, je l’ai adorée, car on a abordé des sujets passionnants. En tant qu’élève, c’est essentiel de savoir un peu comment notre cerveau fonctionne et d’avoir des astuces pour mieux apprendre.


En classe, qu’est-ce qui vous aide le plus à comprendre et à apprendre: l’intérêt pour la branche ou la passion de l’enseignant dans la transmission des connaissances?

Brahim:
Il y a naturellement des branches que l’on préfère et d’autres que l’on aime moins, mais un prof peut tout changer dans la relation qu’on a avec une matière. Dans les branches qui nous plaisent moins, on a besoin d’enseignants qui nous donnent des stratégies d’apprentissage et prennent un peu plus de temps pour nous donner le goût d’étudier.

Lena: Je suis tout à fait d’accord avec ce que dit Brahim. Dans n’importe quelle branche, les profs ont un impact majeur sur le plaisir et la facilité qu’on a ou pas d’apprendre.


Les enseignants que vous avez en EPP ayant aussi été formés comme vous, avez-vous l’impression qu’ils sont particulièrement attentifs à vos difficultés dans les apprentissages?

Lena:
Je ne sais pas comment ils étaient l’année passée, mais là ils sont vraiment très attentifs et s’intéressent sincèrement à notre avenir. Leur but, c’est notre réussite scolaire et la construction de notre projet d’orientation. On ressent qu’ils veulent tout mettre en œuvre pour que cette année ne nous serve pas à rien.

Brahim: Les profs viennent vers nous dès qu’ils nous voient en difficulté. Ce que j’apprécie aussi, c’est que certains nous parlent de leur expérience de vie, surtout dans le cadre des cours liés aux projets semestriels, et ainsi on prend conscience qu’il n’y a pas qu’un seul chemin possible.


Est-ce à dire que spontanément vous n’allez pas vers eux pour leur demander de l’aide?

Brahim:
Si je ne comprends pas quelque chose, je vais un peu plus facilement vers eux qu’avant, en particulier lors du cours d’AMT (ndlr: approche du monde du travail). Comme pendant toute ma scolarité obligatoire, à chaque fois que je posais une question, j’avais peur d’être jugé, je peine encore à dire spontanément que je n’ai pas compris.

Lena: En ce qui me concerne, je demande parfois des conseils, mais je peine aussi à poser des questions en cours, certainement comme Brahim en partie à cause des années précédentes.


Savez-vous plus précisément ce que l’école attend de vous?

Brahim:
Un peu plus qu’avant, mais pas très précisément toutefois.

Lena: J’ai bien compris que si j’ai certaines clés pour m’organiser correctement et que je fournis les efforts nécessaires, j’ai de meilleures chances de réussir.


Auriez-vous l’exemple d’une clé dans une branche pour laquelle vous avez moins de facilité?

Lena:
L’allemand, c’est pour moi la pire des matières et grâce à ma prof j’ai trouvé des stratégies pour parvenir à me concentrer et à mieux mémoriser. Elle nous incite à réussir non pas pour les notes, mais pour nous-mêmes, et progressivement cela me plaît d’apprendre cette langue.

Brahim: Le prof de maths vérifie si l’on a compris ou pas à la fin de chaque thème, en étant toujours prêt à réexpliquer d’une autre façon. Certains enseignants cherchent différentes manières d’enseigner tout comme c’est à nous d’expérimenter différentes manières d’apprendre, car c’est un travail collectif.


Pour mieux étudier après les cours, avez-vous des stratégies qui marchent bien?

Brahim:
Je suis conscient qu’il me faut éviter les distractions et les distracteurs. Je bloque mon téléphone par exemple de 16h à 17h. Après ce n’est pas pour autant simple de me concentrer, car chez moi il y a beaucoup de bruit, ma famille étant nombreuse.

Lena: Pour ma part, j’ai désormais des petits trucs qui me permettent d’apprendre plus facilement. Par exemple, je classe certaines notions à apprendre pour pouvoir découper ce que je dois mémoriser. J’ai maintenant des astuces pour chaque matière.


Et si une piste n’est pas efficace, vous découragez-vous rapidement?

Lena:
Beaucoup moins qu’avant, sachant qu’il y a de nombreuses stratégies et qu’il s’agit de les tester pour trouver celles qui nous conviennent. De plus, je suis rassurée, puisque je sais que les profs sont là pour m’aider et me conseiller. Ils sont à disposition des élèves qui réussissent moins bien, sans jamais être dans le jugement, ce qui est très appréciable.

Brahim: Moi, ça me fait chaud au cœur de voir que même si j’échoue à un examen les profs sont là pour me réconforter et m’encourager à trouver des solutions pour que je réussisse mieux la prochaine fois.




«En tant qu’élève, c’est essentiel de savoir un peu comment notre cerveau fonctionne et d’avoir des astuces pour mieux apprendre.»
- Lena



Avez-vous sollicité les conseils personnalisés de la coach Anne-Claude Luisier?

Brahim:
Non, car pour l’instant j’ai l’impression que les conseils de mon titulaire m’apportent déjà beaucoup. Je dois toutefois être vigilant, car depuis peu mes résultats sont légèrement en baisse. Si je devais avoir un coaching, ce serait peut-être avec mes parents, car ils me mettent parfois un peu trop la pression sur les résultats sans mesurer mes efforts et oubliant que je rêverais d’être un élève à qui tout réussit.

Lena: Pour ma part, j’ai rencontré Anne-Claude Luisier afin d’avoir quelques conseils encore plus personnalisés. Elle m’a notamment appris à prioriser les choses à faire, en distinguant mieux ce qui est important de ce qui l’est moins, tout en me mettant moins de pression. Comme ma maman considérait que l’EPP c’était une école «pour les nuls», le moment d’échange avec ma titulaire et ma coach a été très bénéfique. Depuis, elle a une autre vision de moi, de l’école et de comment je fonctionne. Elle se fâche beaucoup moins et je réussis mieux. Je comprends que les parents veulent que leurs enfants excellent à l’école, mais exiger trop ne me semble pas être la bonne piste. Il est plus important qu’ils mettent en place de bonnes conditions pour aussi nous aider.


Vous impliquez beaucoup les enseignants et les parents dans vos progrès scolaires… Et votre rôle, comment le définiriez-vous?

Lena:
Sans l’appui des enseignants et des parents, c’est hyper dur si on n’a pas de grandes facilités à l’école. Après c’est sûr qu’en tant qu’élève notre motivation est essentielle. Cependant, comme elle est liée au contexte, tout se mélange, toutefois cette envie d’apprendre est fondamentale pour progresser et réussir.

Brahim: Il faut avoir de la curiosité pour apprendre, mais chacun, qu’il s’agisse des enseignants et des parents, doit faire un pas. Et même quand on réussit, il faut faire attention, car si on se repose sur ses acquis, on peut ensuite vite se retrouver en difficulté.


Avez-vous l’impression que certains élèves ont dès le départ davantage de clés pour comprendre le fonctionnement de l’école et comment apprendre?

Lena:
Oui. J’ai vite perçu que certains avaient une grande partie des clés et d’autres, comme moi, auraient eu besoin qu’on les guide.

Brahim: Dès le début de l’école, on voit clairement que certains sont avantagés. Ceux qui réussissent ont en général des parents qui savent comment les accompagner, qui connaissent bien le fonctionnement de l’école et ont du temps à consacrer à leurs enfants. Mes parents font du mieux qu’ils peuvent, mais travaillent beaucoup. Pour davantage d’égalité, il me semblerait logique de s’assurer que tous les élèves possèdent des clés pour pouvoir apprendre, tout en sachant que certains les ont peut-être de manière innée.

 


«Il me semblerait logique de s’assurer que tous les élèves possèdent des clés pour pouvoir apprendre.»
- Brahim



Et en même temps, l’école doit rendre l’élève autonome, non?

Lena:
Oui, mais il faut d’abord un accompagnement pour ceux qui loupent une étape.

Brahim: Je partage cet avis. En EPP, on découvre que l’accompagnement est essentiel pour pouvoir ensuite se débrouiller seul. La réussite scolaire est quelque chose d’individuel et de collectif. Ici, les enseignants travaillent ensemble et proposent à chaque élève individuellement des pistes complémentaires.


Beaucoup d’écoles mettent en avant des valeurs qui peuvent aussi être des clés? Connaissez-vous celles de l’ECCG-EPP de Sierre, dont la première est le courage et la détermination (il y a aussi la bienveillance, l’équité, la confiance et la responsabilité ainsi que l’ouverture)?

Brahim:
Je me souviens qu’on avait travaillé sur les valeurs au CO à Martigny, mais celles d’ici je n’aurais pas su les citer. Quand on me dit ces mots, ils me parlent. J’aime bien l’idée première de la persévérance.

Lena: Ces mots associés à l’école ont pour moi une importance relative, mais cela reflète quand même assez bien ce qui se dégage de l’EPP.


Selon vous, serait-il judicieux de fournir dès la scolarité obligatoire une partie des clés que vous avez reçues lors de la première semaine en EPP?

Brahim:
Changer d’attitude pour pouvoir mieux apprendre prend du temps et c’est pourquoi il faudrait introduire ce qu’on a fait en EPP au CO et même déjà en primaire. A l’école obligatoire, on ne devrait pas se sentir jugé si on est moins fort que les autres dans une branche. Les profs qui demandent avec insistance et un peu d’agacement ce qu’on n’a pas compris nous mettent pas forcément consciemment dans une situation compliquée.

Lena:
Les enseignants du primaire et du cycle d’orientation devraient davantage aller vers les élèves pour essayer de discrètement mieux cerner ce qu’ils ne comprennent pas. C’est une partie du système de l’école obligatoire qui serait à changer, en commençant par prendre le temps nécessaire. Pour que moins d’élèves coulent, pourquoi ne pas s’arrêter parfois pour faire un point d’étape? Personnellement, je ne vois pas trop l’intérêt qu’un élève avance dans le programme, alors qu’il n’a pas compris une partie de la matière, sachant qu’il va accumuler les difficultés, en perdant petit à petit tout son courage et sa motivation et en finissant par décrocher.


En guise de conclusion, estimez-vous important de parler de cette question des codes pour apprendre dans une revue destinée aux enseignants?

Brahim:
Absolument, car tous ne sont probablement pas conscients qu’ils ne donnent pas assez d’outils pour aider les élèves ayant plus de difficulté à réussir à l’école.

Lena:
C’est un sujet capital pour l’école à mon avis. En plus, si certaines stratégies marchent en EPP, les enseignants de la scolarité obligatoire pourraient s’en inspirer.




Propos recueillis par Nadia Revaz


 

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