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Le livre de Pierre Vianin autour du point nodal pour dépasser l’échec


Pierre Vianin, enseignant spécialisé au centre scolaire de Noës (Sierre) et professeur à la Haute école pédagogique du Valais à Saint-Maurice, est l’auteur d’un nouveau livre intitulé Comprendre l’échec scolaire. Dans cet opus, il est question de point nodal pour trouver des pistes d’intervention et ainsi aider l’élève, mais aussi d’enquête policière, de diagnostic médical, de psychanalyse et de métiers de l’humain au pluriel, car l’auteur sort des sentiers scolaires pour mieux y revenir.


«Comme le point nodal est un concept que j’ai inventé, il m’a fallu élargir mes recherches bibliographiques à d’autres professions.»
Pierre Vianin

Si vous avez déjà lu un ou plusieurs ouvrages de Pierre Vianin, celui-ci vous aidera à mieux comprendre son concept de point nodal dans son rôle de levier pour la réussite. Et si vous n’avez jamais rien lu de lui, que vous soyez enseignant ou non, autant que vous commenciez par celui-ci, car il vous embarquera dans des réflexions hors de votre zone de confort, mais qui éclaireront avec une lumière différente certains concepts abordés. Les notions de recueils d’informations, de traces et d’indices pour faire avancer l’enquête font ainsi écho à l’évaluation de l’enseignant. Le livre, mêlant synthèse des ouvrages précédents et ouverture à d’autres univers professionnels, contient des balises théoriques séparées, de nombreux exemples en vignette et des résumés en fin de chapitre, ce qui facilite la lecture.



INTERVIEW

Pierre Vianin, qu’est-ce qui vous a incité à écrire un livre centré sur le point nodal et qui s’abreuve de sources de réflexion éloignées de l’enseignement spécialisé, avec l’évocation de méthodes empruntées à la police, à la médecine, à l’archéologie, au journalisme ou à la psychanalyse?
Pour chacun de mes livres, je suis parti d’un problème rencontré afin de chercher des réponses pour le résoudre. Dans les cours en formation initiale ou continue que je donne à la HEP-VS, les étudiants ou les enseignants me demandaient régulièrement d’être plus concret sur mes stratégies pour identifier le point nodal et même si j’évoquais ce concept dans mes derniers ouvrages, j’éludais un peu la question, trouvant difficile d’expliquer ce qui est pourtant au cœur de ma pratique professionnelle. C’est à partir de là que j’ai eu envie de creuser le sujet au niveau théorique, cependant comme le point nodal est un concept que j’ai inventé, il m’a fallu élargir mes recherches bibliographiques à d’autres professions.

Déjà dans vos précédents ouvrages vous faisiez référence à Columbo pour mener l’enquête et émettre des hypothèses sur les difficultés des élèves…
C’est vrai que je percevais un lien entre mon travail et l’enquête policière. Dans ce livre, j’ai creusé la métaphore, en explorant de nouvelles lectures du côté des sciences forensiques me permettant d’en savoir plus sur la méthode hypothético-déductive pour faire le tour de la «scène du crime».

Estimez-vous que l’école s’enrichirait si elle interrogeait davantage des approches issues d’autres secteurs professionnels pouvant être transférables au monde de l’enseignement?
Absolument, car l’évaluation globale de la situation de l’élève par l’enseignant spécialisé présente un certain nombre de dimensions en commun avec l’enquête menée par un policier ou avec le diagnostic différentiel du médecin. Lors de mes entretiens avec Olivier Ribaux, professeur à l’Ecole des sciences criminelles à l’Université de Lausanne et spécialiste de la trace, j’ai découvert combien nous avions un langage commun et que nos métiers étaient menacés par un excès de spécialisation, conduisant à un isolement de chacun dans son champ disciplinaire. Cette année, dans le cadre du cours sur le PPI (ndlr: projet pédagogique individuel), j’ai montré une partie d’un épisode de la série télévisée Columbo aux étudiants et c’était passionnant de les voir établir des parallèles entre des champs professionnels présentant somme toute beaucoup de ressemblances au niveau de la démarche.

Dans votre livre, vous laissez aussi place à l’intuition ou au flair du policier. En tant qu’enseignant, est-ce facile d’intégrer cette émotion dans les prises de décision?
Ayant un esprit très analytique, j’ai adoré m’aventurer sur les chemins de l’intuition et de la sérendipité qui correspondent peu à ma personnalité, parce que je suis convaincu de leur complémentarité avec le raisonnement. Grâce à l’expérience, je sais qu’il est important de faire confiance à cette part d’intuition, malgré l’absence de preuves. J’ai aimé m’intéresser à ces moments de lâcher-prise où les chercheurs découvrent la solution à un problème. Avec l’écriture de ce chapitre, je me sens plus solide dans mon argumentation sur les pistes qui peuvent conduire au choix d’un point nodal. Si les connaissances, l’expérience et le temps sont indispensables pour résoudre les difficultés d’un élève, il faut aussi du lâcher-prise et une ouverture à des hypothèses alternatives, en sachant par exemple saisir une réflexion pouvant apparaître sans aucun lien avec la problématique, puisque c’est à partir de là que les traces peuvent devenir indices.


Pierre Vianin devant l’école où il est enseignant spécialisé à Noës

Au travers des différents exemples de problématiques d’élèves que vous partagez en les décortiquant sous l’angle du point nodal, on se rend compte que leurs difficultés en appui sont rarement directement liées aux aptitudes dans telle ou telle branche, mais plus à des questions de confiance en soi, de motivation ou de mémorisation. Sans l’identification du point nodal avec juste du rattrapage dans une matière, y a-t-il le risque de passer longtemps à côté du problème?
Oui, et même pire cela peut aggraver la situation. Lorsque j’ai commencé l’appui, je suis souvent tombé dans ce piège consistant à se focaliser sur la difficulté signalée. Au fil des ans, j’ai appris de mes erreurs et les choses ont aussi beaucoup changé au niveau de la collaboration avec les titulaires, car eux-mêmes arrivent avec des hypothèses et une vision plus globale de l’élève. L’enjeu, c’est l’adhésion de tous les partenaires dans le choix d’un point nodal. Si celui-ci fait consensus, le projet aura plus de sens aux yeux de l’élève. Reste que tout cela est chaque fois à construire.

Y a-t-il des progrès à effectuer sur le plan de la collaboration entre les différents partenaires?
J’ai été emballé lors de la mise en place du guichet unique en Valais, toutefois je trouve que l’on s’achemine vers un fonctionnement trop administratif de distribution des heures. Dans ma perception de l’école, on devrait encore plus échanger pour s’accorder sur le point nodal afin de travailler tous ensemble avec le même objectif, chacun avec les compétences de son domaine. Si tous les partenaires, à savoir l’élève, ses parents, les enseignants et les thérapeutes, appuient sur le même levier, les forces s’additionnent.

Si dans les fictions policières, les énigmes trouvent leur résolution dans un format minuté, dans la réalité certaines enquêtes demeurent ouvertes sur une longue période. L’enseignant doit-il aussi apprendre à accepter de ne pas parvenir à trouver les pistes pour aider certains élèves à réussir à l’école?
Pour reprendre les propos de Mireille Cifali, comme dans les métiers de la santé, l’enseignant a une obligation de moyens, mais pas de résultat. Ce qui est important, c’est de pouvoir se dire que l’on a essayé de mettre en place une démarche ou un dispositif d’aide, en testant des outils paraissant cohérents en contexte. Si la situation ne s’est pas débloquée au bout d’une année, c’est suspect et il convient de passer la main. De plus, même lorsque l’élève réussit, il est difficile de savoir quelle est la part de l’appui. Dans mes formations, je parle aux étudiants et aux enseignants de la statistique annuelle que je tiens à partir des dossiers de mes élèves en appui, en croisant les informations recueillies avec l’évolution de leurs notes dans la branche signalée. Etant donné que j’écris des livres, certains pensent à tort que j’ai les pistes pour tous les entraîner vers la réussite. Même en tant qu’enseignant expérimenté, je rame toujours, tantôt en bénéficiant du courant, tantôt à contre-courant. De manière surprenante, il m’arrive d’avoir des retours positifs sur un élève des années après, alors que l’appui n’avait pas apporté de solutions satisfaisantes, ce qui démontre qu’une graine semée régulièrement arrosée peut pousser bien plus tard.

Dans votre approche, la théorie nourrit la pratique et vice-versa. Malgré l’expérience, est-il important d’enrichir constamment ses connaissances théoriques, au-delà des observations de terrain?
A mon sens, c’est juste primordial. Théorie et pratique ne s’opposent pas, mais se complètent, et de cela j’en ai encore plus conscience avec l’expérience. Dans ma démarche, prendre le temps pour rédiger le PPI est également au centre du processus d’aide, puisque l’exercice d’écriture permet de se focaliser sur le point nodal.

En lisant tout particulièrement vos pages sur la typologie de l’échec scolaire, on perçoit la nécessité de toujours faire un pas de côté pour comprendre la problématique de l’échec scolaire…
En ce qui me concerne, je m’oblige à prendre cette distance. Au début des prises en charge d’un élève en appui, je l’amène à discuter de ses loisirs ou de ses relations avec ses copains, mais je dois me faire violence pour aller dans ces domaines éloignés de l’école, car j’ai vite tendance à vouloir revenir sur ses problèmes de maths ou de français.

Vous écrivez que «l’échec scolaire est – par définition – le produit du système scolaire» et que «l’école doit donc assumer sa part de responsabilité dans la production de l’échec». Que faudrait-il changer dans le système?
L’institution a en effet trop tendance à rejeter la culpabilité sur l’élève ou sa famille. Elle a des solutions pour résoudre les problèmes qu’elle crée, avec la pédagogie universelle, la différenciation et l’évaluation formative, mais ce qui est mis en place est nettement insuffisant. De plus, face aux problématiques de comportements des élèves toujours plus nombreuses et avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, l’école n’a pas d’autre choix que d’évoluer en profondeur. De manière urgente, il s’agit d’apprendre aux élèves à apprendre, à réfléchir et à raisonner. On en parle depuis longtemps, mais l’école ne s’est hélas pas encore attelée à ce changement radical!

«Je rêverais d’une véritable réflexion collective autour de l’école, une sorte d’Education 2030.»
Pierre Vianin

Quelle serait la piste à suivre pour opérer cette transformation profonde?
Pour ma part, je rêverais d’une véritable réflexion collective autour de l’école, une sorte d’Education 2030. Nos autorités devraient oser prendre le temps de cette réflexion et de ce débat. L’école primaire fait bien certaines choses, notamment au niveau du vivre-ensemble, toutefois il y a tant à revoir. En l’état, elle est anachronique. Comment ne pas s’interroger sur ses missions pour aider les élèves à devenir des citoyens dans le monde de demain? Selon moi, le cœur du métier de l’enseignant doit porter sur le développement des processus cognitifs et métacognitifs de l’élève, puisque la seule chose dont on est certain c’est qu’il aura des problèmes à résoudre.

Avez-vous déjà le projet d’un prochain livre?
(En souriant, il montre une vingtaine de classeurs contenant des outils qu’il a développés et des articles rassemblés depuis ses débuts dans l’appui pédagogique.) Oui et j’ai le matériau de base. Mon prochain livre puisera dans tous mes classeurs pour faire une synthèse des principales problématiques rencontrées, de façon à montrer qu’il n’y a pas une infinité de points nodaux. Mon idée, c’est de proposer une sorte de kit de survie par domaines.


Propos recueillis par Nadia Revaz

L Pierre Vianin


Référence du livre

Pierre Vianin. Comprendre l’échec scolaire – Evaluation, remédiation et bilan. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, 2024.


Site internet de Pierre Vianin

https://pierrevianin.wixsite.com/educ


Conférence-vernissage cet automne à Saint-Maurice

Evénement prévu le 17 septembre 2024 à 17h30 à Saint-Maurice


Le livre en trois citations

«Le point nodal, c’est le «bon sang, mais c’est bien sûr!» de l’inspecteur de police, le moment où tout devient clair, évident.»

«Il vaut mieux appuyer sur un levier mal posé que de ne rien faire.»

«La recherche du point nodal, c’est la recherche d’une solution et non de LA solution!»


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