Sophie Mathey, une enseignante enthousiaste et en projets
Dans le cadre de son titulariat, elle donne aussi le cours lié aux projets personnels des jeunes. Exerçant sa profession avec enthousiasme, elle sait se ménager des plages pour se ressourcer et a accepté de partager quelques-unes de ses astuces.
Sophie Mathey, enseignante au CO d’Octodure
INTERVIEW
Pourquoi avoir choisi la voie de l’enseignement? Etait-ce une évidence?
J’ai toujours imaginé devenir enseignante. Si j’ai opté pour le Cycle d’orientation, c’est parce que j’apprécie le dialogue avec cette tranche d’âge. Pour l’anecdote, mon papa était enseignant au CO et l’image positive du métier qu’il renvoyait a assurément contribué à m’influencer.
Vous enseignez plusieurs branches. Serait-ce une stratégie pour conserver la flamme?
Avec mon caractère, je pense que cette variété des contenus d’enseignement est en effet l’une des clés de ma motivation sans cesse renouvelée. Cette diversité des matières enseignées m’offre surtout un contact privilégié avec mes élèves. Titulaire de la 9CO1, certains d’entre eux, en fonction des groupes à niveaux, je les ai en cours 16 heures par semaine, ce qui me permet de voir leurs différents intérêts et sources de curiosité. Et pour faire contraste au côté très rythmé du CO, avec une sonnerie et des mouvements dans les couloirs toutes les 45 minutes, je suis heureuse d’être toujours dans la même salle de classe. J’essaie de créer une atmosphère pour que mes élèves soient comme dans un cocon, estimant que le cadre peut contribuer au calme indispensable à l’attention.
L’alternance entre routines et nouveautés est-elle selon vous nécessaire?
Les deux sont complémentaires. En début d’année, j’ai envie d’apporter de nombreux changements et, au fil des mois, je reviens à certaines habitudes. Pour ne pas ronronner, je vis les projets comme des ouvertures indispensables et j’ai la chance d’avoir une direction qui me soutient, même lorsque je prévois d’aller à la Médiathèque à Saint-Maurice, dans les studios de Canal9 à Sierre ou de la RTS à Lausanne.
«Digresser quelques secondes
est ma façon de partager mes enthousiasmes.»
Sophie Mathey
Quels sont les projets que vous menez régulièrement?
En français, je participe chaque année à la Semaine des médias et au Prix RTS Littérature Ados, trouvant ces démarches très porteuses de sens pour les apprentissages. Depuis l’année passée, deux fois par semaine, j’invite les élèves à vivre un quart d’heure de «Silence, on lit!», un joli projet qui est parfois mené dans des écoles entières. Depuis cette rentrée, les élèves peuvent s’installer où ils veulent pour lire. Cette initiative, certes très modeste, est efficace pour tous, même pour ceux qui adhèrent au projet sans être pour autant de grands lecteurs.
Sortez-vous fréquemment avec votre classe?
Oui, car les sorties sont pour moi une sorte de respiration. Je profite de l’offre culturelle de la ville pour emmener mes élèves visiter des expositions. En allant hors de la classe, il ne s’agit pas de fuir une réalité, mais d’élargir leur horizon et le mien pour mieux revenir aux apprentissages du programme. Nous avons tous besoin de nous comparers à d’autres modes de penser, et pour les jeunes c’est d’autant plus essentiel du fait qu’ils utilisent de manière addictive les réseaux sociaux où ils ne se confrontent guère à des points de vue autres que les leurs. J’invite aussi des personnes à intervenir en classe, cependant je devrais le faire de manière plus régulière.
Est-il fondamental de mettre les savoirs en lien avec l’actualité pour rendre le programme scolaire plus vivant?
Absolument, surtout dans le cadre des cours de sciences humaines et sociales, dont l’un des principaux objectifs est d’être en lien avec ce qui nous environne. Je suis toujours prête à stopper mon cours pour répondre à une question touchant à l’actualité. J’ouvre aussi très souvent des parenthèses. Digresser quelques secondes est ma façon de partager mes enthousiasmes.
Comment vivez-vous au quotidien les apprentissages scolaires et leurs difficultés?
Apprendre est à chaque fois une nouvelle aventure, une expérience que l’on mène ensemble, avec de temps à autre des ratages et pas seulement du côté des élèves. Dernièrement, en rentrant à la maison un jour à midi, je me suis dit que j’avais été nulle. J’étais certainement fatiguée et les élèves n’ont pas du tout adhéré à ce que je leur avais proposé. En partageant ce constat lors du repas, cela m’a fait du bien et c’est peut-être grâce à cette lucidité qu’à d’autres moments je me sens enthousiaste et enthousiasmante dans ma façon d’enseigner.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier?
J’adore cheminer avec mes élèves, en espérant leur amener un peu de ma personnalité. J’ai vraiment l’envie qu’ils comprennent que le CO est un tremplin qui leur permettra de rebondir ailleurs, qu’ils soient ou non bons élèves. Je me détache de plus en plus des résultats, car tous ont un potentiel à développer. Par ailleurs, dans notre société où les écrans sont partout dans la vie des jeunes, l’école est le dernier endroit qui privilégie le contact visuel direct. C’est cette dimension du rapport humain qui me fait vibrer et, je l’espère, les aide à s’épanouir. L’un de mes rôles en classe est d’élargir leur univers, même si avec la pandémie certains projets très rassembleurs, et tout particulièrement les voyages, ne peuvent malheureusement pas être maintenus.
Votre classe est-elle tout de même ouverte aux écrans?
Occasionnellement, mais pas à tous les cours. Je privilégie les activités où l’on peut être ensemble, échanger et rire. Les élèves comprennent très bien qu’en classe on peut avoir des temps pour rire et d’autres pour travailler sérieusement.
En cours, avez-vous une stratégie pour inciter vos élèves à apprendre?
Je crois que c’est un ensemble de facteurs. J’observe que les jeunes – tout comme les adultes du reste – travaillent plus volontiers s’ils peuvent opérer certains choix. J’essaie donc d’être attentive à cette dimension en créant d’autres possibilités, afin que mes élèves puissent s’impliquer davantage, toutefois j’aimerais explorer pour aller encore plus loin. Néanmoins, rien que de pouvoir décider de travailler seul ou par deux ou d’avoir le droit de changer librement de place les engage différemment dans les apprentissages.
L'ambiance chaleureuse de la classe de Sophie Mathey
«Pour ne pas ronronner,
je vis les projets comme des ouvertures indispensables.»
Sophie Mathey
Avez-vous connu des périodes de démotivation avec vos élèves?
Il y a une dizaine d’années, j’ai eu une classe très difficile et l’idée m’a traversé l’esprit de me mettre pour un temps en pause, voire de me réorienter professionnellement. J’ai finalement pris une année sabbatique et j’en ai profité pour m’occuper de mes enfants. J’ai savouré chaque jour de ce congé, ayant eu le temps de faire le point à différents niveaux. Lors de l’entretien avec mon directeur pour organiser l’année scolaire suivante, il m’a proposé d’être non plus titulaire de 11CO, mais de 9CO. J’y ai vu une occasion de changement.
Prendre un congé sabbatique, ne serait-ce point une piste qui mériterait d’être développée et financée pour permettre à des enseignants épuisés de retrouver l’énergie plutôt que de chercher à abandonner définitivement le métier?
Ce congé m’a permis de retrouver le plaisir perdu, donc ce pourrait être une solution judicieuse pour maintenir la flamme sur la durée. Avec l’expérience, j’ai appris à être très attentive pour me ressourcer non pas seulement pendant les vacances, mais au quotidien, car enseigner est un métier à la fois passionnant et prenant, même à temps partiel. Je suis devenue vigilante à mon équilibre de vie. A la fin de chaque année scolaire, j’effectue une sorte de bilan pour remettre certaines de mes pratiques en question et avoir de nouvelles perspectives. Quand je viens en classe et que je me retrouve face à mes élèves, je veux être au top de mon enthousiasme et ainsi, selon le principe des vases communicants, ils renouvellent mon énergie.
Chaque enseignant a la liberté d’apporter un peu de sa personnalité en classe. Comment percevez-vous cette variété des profils?
Je suis d’avis que pouvoir être face à des styles d’enseignants très différents ne peut être qu’enrichissant pour les élèves. Les rares fois où je vais dans d’autres salles de classe, j’aime découvrir comment d’autres personnalités créent des ambiances différentes de la mienne.
Jugez-vous primordial de partager avec des collègues votre approche de l’enseignement?
J’apprécie le dialogue avec certains de mes collègues, tout en n’étant pas dans un mode coopératif permanent. Et lorsque je collabore, j’ai besoin d’ajouter ma touche personnelle une fois dans ma classe. Dès qu’un jeune rencontre une difficulté, il est précieux d’avoir le regard des autres profs afin d’appréhender l’élève dans sa globalité. Avec la pandémie, nous avons moins de contacts entre collègues, donc le réseau devra être retissé une fois que nous ne serons plus impactés par les mesures sanitaires.
Si vous aviez les pleins pouvoirs pour changer quelque chose dans votre classe, que modifieriez-vous?
Déjà, je resterai enseignante au CO d’Octodure, car je m’y plais. A part un mobilier flexible et surtout des bureaux réglables pour travailler assis ou debout comme c’était le cas à une époque dans les classes valaisannes, je ne vois pas trop.
Depuis plusieurs années, je demande à des élèves ce qu’ils modifieraient pour rendre l’école un peu plus idéale et il y a une réponse qui revient presque d’interview en interview, à savoir introduire une branche passion ou à option dans le programme au CO. Valideriez-vous cette proposition?
Ce serait génial de pouvoir faire quelque chose en continu, sans la pression de l’évaluation et sans le côté haché du programme. Cela laisserait aux élèves une vraie possibilité de choix. Je me verrais bien animer un cours pour lequel j’aurais peu de capacités et qui m’obligerait à me former. Certains élèves pourraient mettre en avant leurs habiletés dans des domaines moins scolaires et une telle démarche serait idéale pour la mise en œuvre des capacités transversales. Dans l’attente de la réalisation de ce vœu, rien ne nous empêche d’aller dans cette direction avec un projet à l’échelle de la classe.
Comment l’élève que vous étiez regarderait-elle l’enseignante que vous êtes?
Je crois que je suis une enseignante que j’aurais aimé avoir, parce que je suis cohérente avec moi-même. J’ai construit mon identité professionnelle en prenant un peu de plusieurs modèles d’enseignants.
Avez-vous un défi de formation continue pour cette année scolaire?
Dans le cadre d’un échange de professeurs organisé par le Bureau des échanges linguistiques et Movetia, je vais partir une semaine à Ennetbürgen, dans le canton de Nidwald. Je me réjouis de cette immersion, étant très curieuse de savoir comment on enseigne ailleurs. A mon retour, je pourrai raconter à mes élèves mon expérience, ce qui les intéressera assurément.
Quel est votre prochain challenge?
En cours d’anglais, je vais entraîner mes élèves dans une lecture suivie. Ce n’est pas grand-chose, mais cela devrait contribuer à casser un peu le rythme. Ceux qui aiment lire vont apprécier et je suppose que les autres parviendront à s’enthousiasmer pour l’histoire sélectionnée qui est racontée sous la forme d’une BD. Avec le temps, on comprend qu’il n’est pas nécessaire de lancer un immense projet pour parvenir à motiver les élèves. Trop vouloir innover, c’est à mes yeux prendre le risque de l’essoufflement, alors que le but est de conserver son enthousiasme en enseignant.
Propos recueillis par Nadia Revaz