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L’espérance face à la complexité du monde vue par deux collégiens

Quelle est la relation des jeunes à la complexité du monde actuel et quel est leur degré d’espérance en l’avenir? S’il est impossible de répondre à ces deux questions de manière globale, Kamila Garcia et Eliot Fournier, tous deux étudiants au Lycée-Collège de la Planta à Sion, ont accepté de livrer leur point de vue, tout en intelligence et en nuances.

 

Eliot Fournier et Kamila Garcia

 Instant de complicité entre les deux collégiens

 Avant ce moment de discussion, ils ne se connaissaient pas. Elle est en 4e année et lui en 5e, dès lors il y avait une forme d’audace à les réunir pour une interview autour d’une telle thématique. Pari réussi, puisque leurs arguments se sont enrichis dans l’écoute mutuelle.

Eliot Fournier et Kamila Garcia font assurément preuve de curiosité pour de nombreux domaines, dont la littérature. Si Eliot adore autant lire qu’écrire et a été primé dans la catégorie jeunesse par la Société des écrivains valaisans, Kamila aime dessiner et écouter du rap conscient. L’un et l’autre s’intéressent à la politique, leur différence se situant plutôt au niveau de l’intensité dans l’engagement. Pendant deux heures, un vendredi après-midi à la suite des cours, l’échange fut riche et a permis d’aborder des sujets très variés, dont les crises mondiales, la culture, l’école, la politique suisse et française, le Parlement des jeunes en Valais, et bien évidemment l’espérance.

INTERVIEW 

En tant que jeunes, comment percevez-vous la complexité de notre monde, avec ses risques et ses opportunités?

Kamila: Pour commencer, je crois qu’il y a une différence de perception majeure avec les adultes, même si assurément il y a des exceptions à cette généralisation. Depuis notre enfance, nous avons conscience des enjeux climatiques, ce qui a de quoi être déboussolant. Si les opportunités sont difficiles à percevoir, en tous les cas pour moi, c’est probablement parce que ma vie se résume à l’école.

Eliot: Les jeunes, plus qu’égarés, sont peut-être trop au clair sur l’horizon à venir, avec la conscience d’une limite dure, inévitable si des actions ne sont pas rapidement entreprises. Les générations précédentes étaient prioritairement engagées dans leur développement personnel, vivant dans un monde qui sortait de beaucoup de conflits et de guerres, et ils n’avaient pas la préoccupation de la finitude des ressources au sens très large.

J’ai l’impression que des personnes comme Edgar Morin, sociologue ayant écrit à 101 ans «Réveillons-nous!», sont plus proches de vous, car ils ont vécu des temps chahutés, alors que les générations intermédiaires, plus privilégiées, n’ont pas eu l’habitude de naviguer dans un «océan d’incertitudes»… En revanche, les générations plus anciennes ne misaient-elles pas davantage que vous dans l’espérance qui se niche dans l’imprévisible et l’improbable?

Kamila: Je suppose volontiers cette proximité avec les plus anciens, car eux aussi ont vécu des temps troublés. Face à chacune de nos peurs, qu’elles soient personnelles ou plus universelles, j’ai la sensation qu’on ne nous offre aucune piste concrète dans laquelle on pourrait s’engager. Tout au fond de moi, je garde de l’espoir, mais je n’arrive pas à savoir comment l’ancrer à force d’être lessivée. Au quotidien, on nous fait trop souvent comprendre que notre génération doit composer avec la fatalité ou que tout repose sur nos épaules. Je ne sais pas comment exprimer les choses, mais c’est comme si on nous avait ôté une part d’innocence et d’espérance à laquelle les autres générations ont eu droit à notre âge.

Eliot: Je conserve aussi des étincelles d’espérance. Je suis d’accord qu’elles peuvent surgir dans l’improbable, mais seulement si nous sommes en chemin. A mes yeux, dire que les générations d’avant sont celles qui ont pollué la Terre et que les jeunes doivent réparer leurs erreurs est contreproductif. Nous devrions avoir une vision commune de là où nous voulons aller et agir ensemble. Si tel n’est pas le cas, notre mission sera définitivement impossible. Les adultes en activité sont plus en capacité pour essayer de changer les choses. S’ils se mettaient en marche, j’accompagnerais le mouvement.

 

Eliot Fournier Kamila Garcia nature
Kamila Garcia et Eliot Fournier ont des arguments percutants.


De manière générale, comment jugez-vous le discours des adultes sur les actions à mener?

Eliot: Vu qu’il s’agit du traitement du futur et que le sujet est éminemment philosophique et politique, il y a une grande diversité d’opinions, donc j’ai de la peine à dégager une tendance.

Kamila: Dans son ensemble, je considère que le discours est surtout informatif, ce qui permet de constater et de ne pas nous laisser dans l’ignorance, mais rien ne nous incite à entrer dans l’action. En politique, je ne vois pas de vision qui se dessine, alors qu’il y a urgence. Si les experts dans de multiples domaines doivent être écoutés avec attention, ce qui est rarement le cas, le débat mérite d’être beaucoup plus large, parce que nous sommes tous concernés. C’est ensemble que nous pourrons peut-être trouver des solutions.

Eliot: C’est bien résumé. On nous livre un discours purement informatif sans vision, au sens que tout le monde parle d’écologie, mais que même ceux qui ont envie d’agir semblent se sentir empêchés dans la place où ils sont. Je connais beaucoup d’adultes qui ont des opinions, mais très peu qui ont une analyse radicale, au sens d’aller à la racine du problème, et qui seraient prêts à se lancer dans l’action ici et maintenant.

Kamila: Notre société semble préférer gérer les catastrophes plutôt que de tout faire pour les empêcher.
 

Auriez-vous besoin de davantage de figures inspirantes, plus incarnées, dans divers domaines?

Eliot: Je trouve en effet qu’elles manquent un peu. 

Kamila: Il y a des personnes qui m’inspirent, notamment certains enseignants au collège, mais elles sont trop peu nombreuses, alors qu’elles seraient d’autant plus indispensables dans la période que nous traversons.
 

Le changement a toujours été possible grâce à une part d’utopie. Quelle est la vôtre?

Eliot: Pour faire quelque chose de concret, je crois qu’il faut commencer par réfléchir à l’intégralité des dimensions du problème et avoir une vision précise du monde que l’on souhaite, en prenant des mesures cohérentes entre elles et calibrées les unes par rapport aux autres. A partir de là, même s’il y a une multitude de sensibilités qui ne s’accorderaient pas forcément sur le détail des actions à mener, nous pourrions nous dire qu’un autre monde est possible et même souhaitable. Ce serait une façon de nous insuffler de l’espérance pour avancer avec plus d’énergie et d’enthousiasme, en acceptant nos erreurs et en recommençant un peu autrement.

Kamila: Je suis d’accord avec toi Eliot, mais selon moi la limite de ton point de vue, c’est qu’il y a des personnes qui ne veulent pas concevoir de changement pour ne pas perdre leur confort matériel et il y a ceux qui se disent «à quoi bon», jugeant que c’est déjà trop tard.
 

L’erreur n’est-elle point de se focaliser sur tout de ce que l’on va perdre matériellement au lieu de voir tout ce que l’on pourrait gagner dans cette transformation de nos vies et cette redéfinition de nos valeurs?

Kamila: Oui, mais c’est tout le problème des discours informatifs, car l’information en soi est négative, et les seuls instants où l’on nous donne de l’espoir c’est lors des périodes électorales, mais là on nous berce d’illusions.

Eliot: Je pense que les politiciens ont pour la plupart une certaine sincérité, toutefois celle-ci se perd sous l’enrobage de la communication. En revanche, ils sont peu à vouloir faire que le tout soit plus grand que la somme des parties.

Kamila: Et ils sont encore moins nombreux à avoir une politique sur le long terme.

Eliot: Comme le dit l’ingénieur français Jean-Marc Jancovici, l’écologie doit être pensée sur un temps très long, alors que nos systèmes politiques sont structurés pour gérer l’immédiateté.

La pensée critique, que vous avez développée à l’école et au collège plus particulièrement, vous apporte-t-elle des outils pour faire face à l’éco-anxiété et éviter la paralysie de l’action?

Eliot: Cela pourrait nous aider, mais dans votre question, vous présupposez que l’implémentation de la pensée critique serait une réalité, ce qui malgré les objectifs déclarés n’est pas vraiment le cas. L’enseignement a intégré un peu la transversalité entre les matières, néanmoins pour ce qui est de la pensée critique même le collège a encore du travail à faire. Dans les cours qui s’y prêtent, comme celui sur la démocratie abordée en philosophie, on découvre quelques concepts pour se forger un esprit critique, cependant ce n’est pas un réflexe quotidien, par manque de temps. Ce n’est pas la faute des enseignants, mais des programmes et du système scolaire qui restent trop concentrés sur la culture classique, alors que les cours seraient à repenser par les responsables de l’école, afin que nous devenions non seulement de bons étudiants au tertiaire, mais aussi des citoyens capables de comprendre et d’interagir avec le monde d’aujourd’hui.

Kamila: C’est tout à fait cela. L’école est trop éloignée de la vie réelle. Certains sujets contemporains sont évoqués, mais trop brièvement.

 

Sandy Clavien1

«C’est comme si on nous avait ôté une part d’innocence et d’espérance.»
Kamila Garcia

Sandy Clavien1

«Imaginer d’autres mondes est source d’espérance.»
Eliot Fournier
 

Quelles seraient alors concrètement vos propositions de modification?

Eliot: Dans les cours de français, en expression écrite par exemple, le fait que la dissertation au sens académique constitue l’essentiel du programme m’agace, même si les enseignants intègrent des sujets plus modernes à aborder. Comme c’est un domaine où je suis plutôt bon, je pourrais m’en réjouir, toutefois je constate que ceux qui ne savent pas effectuer cet exercice demeurent en situation d’échec dans le pire des cas et dans le meilleur ils apprennent à se conformer à un modèle relativement arbitraire.

Kamila: Je te rejoins totalement Eliot. J’estime qu’il s’agirait aussi de se poser la question de la pertinence du côté quantitatif des commentaires de texte. Une fois qu’on a compris la structure et avec un peu de maîtrise, cela devient presque mécanique, ce qui est dommage, étant donné qu’il y a d’autres façons d’entrer dans un texte littéraire qui pourraient motiver davantage. Ceci n’est aucunement une critique envers les professeurs qui doivent faire en sorte que notre niveau corresponde aux exigences du programme et des évaluations. Par ailleurs, certaines notions étudiées dans les différentes matières sont obsolètes et pour défendre la nécessité de leur maintien, il s’agirait alors de faire des liens avec aujourd’hui pour que cela fasse sens. Se contenter de nous dire que cela nous sera utile à l’université est totalement inaudible.

Certes, mais la culture classique, c’est aussi ce qui nous relie les uns aux autres et nous permet d’avoir des références communes, non?

Eliot: Vous avez entièrement raison, néanmoins je suis persuadé que l’on pourrait écrémer une partie de la culture classique du programme pour traiter également de l’actualité et même penser le futur. L’enseignement est un domaine qui est trop difficilement perméable aux évolutions du monde et de la société ou avec beaucoup de retard. Dans ce collège, nous avons pourtant de la chance avec l’organisation du Forum annuel de la Planta et les diverses occasions de rencontres avec des personnalités qui enrichissent notre pensée, néanmoins cette valeur ajoutée est proportionnellement insuffisante. J’estimerais judicieux d’introduire des cours en lien avec internet et les réseaux sociaux, car ce sont des espaces majeurs de l’échange des idées. Dans notre formation à la démocratie, l’expression en ligne et le débat oral sur différents thèmes d’actualité mériteraient une vraie place dans le programme. J’apprécierais aussi d’avoir des bases pour comprendre dans les grandes lignes la technologie derrière les outils informatiques que nous utilisons. C’est l’équilibre entre tradition et modernité qui est à revoir.

Kamila: Sur la place de la culture classique, je partage ton avis Eliot, estimant que la proportion est juste trop grande, ce qui ne signifie nullement que ce n’est pas intéressant et important. C’est essentiel d’avoir des références communes et d’étudier les œuvres classiques, pour autant notre formation pourrait intégrer un peu plus la pensée contemporaine, ce que nous faisons évidemment parfois, mais seulement en survol. Et quand les professeurs accordent une place à cette modernité, il y a toujours le but de vérifier nos compétences selon des codes classiques. L’école ne s’intéresse pas à nos avis sur un sujet, alors que cela pourrait nous aider à affiner notre pensée. On est dans la mécanique de l’argumentation, comme si les enseignants n’osaient pas prendre en compte notre avis ou même simplement donner le leur. Je n’arrive pas à comprendre qu’ils veuillent ou soient obligés de garder une position neutre, alors que les arguments sans avis n’existent pas dans la vie réelle. L’exercice, de passionnant, devient ainsi factice. Concernant internet, quand on nous en parle, le sujet est toujours abordé sous l’angle de la sécurité et du cyberharcèlement.
 

Un tel programme, plus enthousiasmant à vos yeux, pourrait-il vraiment être réalisé sur le temps scolaire?

Eliot: Peut-être devrions-nous avoir comme dans les universités des clubs ou des comités pour laisser place à un plus grand foisonnement culturel… L’école gagnerait beaucoup à offrir des lieux pour parler de littérature, pour débattre ou pour pratiquer un sport, où chacun s’inscrirait en fonction de ses envies. Cette vie d’étudiant en parallèle pourrait insuffler de l’enthousiasme pour apprendre avec plaisir et dans la convivialité, car l’aspect social est aussi capital. Kamila dit très justement que l’école est trop distante de la société et là nous aurions une sorte de passerelle.

Kamila: Cela serait génial de pouvoir ainsi réduire la rupture entre l’école et le monde réel. J’adorerais une école qui offrirait cet équilibre, avec un espace, pas forcément dans l’enceinte et sur le temps scolaire, pour développer sa passion, tout en la reliant à notre formation d’étudiant. S’investir en ayant la possibilité d’effectuer un choix nous apporterait probablement un souffle supplémentaire d’espérance dans nos existences. Je suis persuadée qu’un tel système nous aiderait à nous préparer à des situations auxquelles nous sommes confrontés avec les différentes crises que nous vivons.

Eliot: La culture en contexte scolaire est trop abstraite, alors que c’est quelque chose de vivant. Le goût de la lecture passe par celui de l’écriture et ouvre à la réflexion et à l’imaginaire, toutefois forcer à lire ne suffit pas. L’oral pourrait être une autre clé pour communiquer l’amour de la langue. Ce serait précieux, car être capable d’imaginer d’autres mondes est précisément source d’espérance.

Kamila: Avec cette diversité, ceux qui sont en difficulté avec le commentaire de texte ou la dissertation auraient peut-être d’autres entrées dans la littérature, ce qui les aiderait certainement ensuite à progresser dans ces exercices plus académiques, car là ils sont juste découragés.

Eliot Fournier Kamila Garcia2

Kamila Garcia et Eliot Fournier prennent la pose.

Qu’attendriez-vous dans l’immédiat de la part des adultes?

Kamila: J’ai l’impression que les adultes nous entendent, mais ne nous écoutent pas. Certains ne supportent pas que l’on puisse avoir des arguments complémentaires aux leurs. Souvent, avant même qu’on ait fini d’exposer notre proposition, ils affirment que cela ne pourra pas marcher, sans prendre le temps de nous expliquer pourquoi.

Eliot: Le risque, c’est de donner la parole à des personnes pour soi-disant réfléchir ensemble sans être prêts à les écouter. Pour beaucoup de gens, dès qu’on dit qu’on voudrait modifier les choses de façon un peu radicale, cela renvoie tout de suite à l’anarchie ou à l’utopie, alors que sans viser un idéal, nous demeurons immobiles.

Pour cela, ne faudrait-il pas que vous acceptiez que le rythme des adultes pour comprendre la nécessité de prendre soin du monde ne soit pas le même que le vôtre?

Kamila: Bien sûr qu’il faut commencer par les petits pas, et nous ne devons en effet pas reprocher aux adultes d’aller trop lentement, du moment qu’ils essaient de nous comprendre.

Eliot: Une fois le mouvement initié, il s’agit d’accélérer le rythme. La façon de penser le monde, avec l’argent au centre de tout, est un obstacle pour transformer certaines habitudes.

Quelle serait votre suggestion pour entrer dans la réflexion, dans l’action et dans l’espérance?

Kamila: Bien souvent, il suffirait d’une vraie écoute et d’un petit soutien… J’ai l’impression que beaucoup d’adultes ont oublié qu’ils ont été jeunes et s’en souvenir serait déjà beaucoup. Quand j’ai dit à des personnes autour de moi que j’étais intéressée à répondre à des questions sur l’espoir des jeunes dans la société, plusieurs m’ont fait comprendre qu’à mon âge je n’avais pas la capacité d’apporter quoi que ce soit à la discussion. Dans ces conditions, comment ne pas paraître parfois défaitiste? Personnellement, je passe par toute la gamme des émotions, et j’apprends à accepter autant les moments d’enthousiasme et d’espérance que de colère ou de désespérance.

Eliot: Nous devrions avoir l’énergie pour nous révolter contre l’adversité, tout en gardant l’espérance, mais c’est parfois compliqué avec toutes ces crises auxquelles notre monde doit faire face. En posant les constats, je parais plus pessimiste que je ne le suis habituellement. J’aime lorsque Frédéric Lordon dit qu’on ne doit pas être éco-anxieux, mais éco-furieux.

Propos recueillis par Nadia Revaz