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Regard de Pierre Vianin sur la réussite scolaire

Pierre Vianin, enseignant spécialisé au centre scolaire de Noës et professeur à la Haute école pédagogique du Valais romand à Saint-Maurice, a écrit plusieurs ouvrages en lien avec sa pratique professionnelle dont récemment De l’échec scolaire à la réussite: accompagner l’élève en difficulté d’apprentissage (De Boeck Supérieur, 2022). Cette conversation liée à la thématique du dossier de ce mois fait suite à l’interview autour de son ouvrage.

 

Pierre Vianin3

Pierre Vianin est l’auteur d’un livre intitulé De l’échec scolaire à la réussite.

INTERVIEW

La manière de regarder la réussite scolaire est-elle la bonne? Ne lui accorde-t-on pas trop d’importance?

Dans l’ensemble, les élèves valaisans obtiennent de très bons résultats si l’on se réfère aux comparaisons internationales ou intercantonales, mais avec un taux d’échecs élevé, alors que l’on pourrait s’attendre à ce que notre système scolaire en crée moins que dans d’autres pays ou cantons. La part de subjectivité, c’est la façon dont on lit ces résultats, en fonction de la place accordée à ce paradoxe.

 

Du côté de la réussite, certains élèves interprètent un 4,9 comme une défaite et d’autres voient une victoire à 3,9. Comment expliquer cette subjectivité associée aux notes, alors qu’elles sont définies avec un statut d’indicateurs fiables?

L’élève ajoute aux notes une dose de subjectivité, toutefois c’est aussi le cas de l’enseignant et des parents. L’enseignant interprète les résultats de son évaluation à travers une note qui par essence est biaisée et c’est ce chiffre que réinterprètent l’élève et sa famille. Une réussite qui semble parfaitement objective est en fait complètement relative. Et c’est la même chose pour un échec. Un élève, pour un examen identique, ne sera pas évalué de la même manière dans la classe A que dans la classe B. Certains sont artificiellement en échec, en raison d’une illusion de l’objectivité.

 «Une réussite qui semble parfaitement objective est en fait complètement relative.»
Pierre Vianin

 

Y a-t-il une frange d’élèves qui se mettent trop de pression avec les notes?

Absolument. Pierre Mannoni, auteur d’un livre intitulé Des bons et des mauvais élèves, fait l’inventaire de leurs caractéristiques respectives. En schématisant, il dit que le «bon élève» est hyper-adapté, docile, soumis, intimidé, hypersensible à la critique, stressé, conforme, pointilleux, perfectionniste, immature, et finalement malheureux. L’élève qui réussit bien à l’école, c’est celui qui a compris le jeu du système, tout en étant aussi celui qui n’a pas appris à tolérer et à dépasser une situation d’échec. Certains ne vont pas à l’école pour apprendre, mais pour performer dans une course aux bonnes notes. Pierre Mannoni explique que les élèves mis en échec scolairement sont souvent ceux qui sont les plus intéressants pour la société. Le «mauvais élève» possède d’autres qualités: pensée divergente, créativité, fantaisie, originalité, esprit critique, autonomie. C’est lui qui est heureux et pourtant il ne répond pas aux exigences de l’école, même s’il est dans une logique d’apprentissage. A partir de ce constat, il y a de quoi se questionner sur le regard que l’on pose sur la réussite et sur l’échec en contexte scolaire.

 

Réussir à l’école, n’est-ce pas avant tout réussir à intégrer une notion à une date donnée, alors que certains élèves auraient juste besoin d’un peu de temps?

C’est exactement cela. L’accent devrait être mis sur le développement de connaissances et de compétences, dans un souci de progression, et moins sur le fait d’apprendre dans les temps. Des enfants se retrouvent en échec uniquement parce qu’il leur aurait fallu quelques mois supplémentaires pour maîtriser un objectif précis du programme marquant le passage d’un degré à un autre.

 

L’école a-t-elle suffisamment conscience que la réussite scolaire et la réussite professionnelle et/ou personnelle ne vont pas forcément de pair?

Non, et pourtant la réussite éblouissante de certains de nos anciens élèves en difficulté, devenus chefs d’entreprise ou autres, est méritante et mériterait un autre regard. Toutefois, dans le même temps, les patrons accordent de plus en plus d’importance aux notes scolaires, ce qui complique le parcours des élèves en échec. Combien sortent de l’école complètement cabossés? Combien perdent totalement confiance en eux à cause du regard stigmatisant qui a été posé sur eux? Il s’agit de ne pas oublier que l’élève en échec scolaire a bien d’autres compétences à révéler.

 

L’enseignant qui ne parvient pas à faire réussir tous ses élèves n’a-t-il pas tendance à se sentir lui-même en échec?

C’est une situation que les maîtres d’appui peuvent observer. Si l’enseignant régulier se sent en échec, comment peut-il tolérer que quelqu’un d’autre vienne en aide à l’un de ses élèves? C’est pourquoi il me paraît important d’insister sur le fait que la réussite des élèves est une co-construction. L’enseignant régulier et l’enseignant spécialisé doivent essayer de comprendre ensemble les blocages à certains apprentissages. Il y a peu, j’ai demandé à mes étudiants à la HEP d’inventorier les causes de l’échec scolaire et ils ont commencé par citer celles en lien avec l’enfant, puis celles concernant la famille et enfin l’école. Spontanément, ils ont cherché un coupable au lieu d’avoir une analyse plus systémique. Le but du cours était précisément de déplacer leurs regards.

 

En matière de compétition, y a-t-il une grande différence entre l’approche de l’école et celui de la société?

Pas vraiment, et pourtant l’école aurait intérêt à oser s’affirmer en résistant à certaines pressions de la société. Lors de remises de prix, ce sont souvent les mêmes élèves qui raflent tout, et l’on devrait s’interroger pour savoir si ce sont réellement les plus méritants. A noter qu’il y a tout de même des initiatives dans certaines écoles qui ouvrent les portes à la diversité des talents.

 

Quant à l’erreur, nécessaire et même indispensable pour apprendre, on en parle beaucoup, mais les réflexes ont-ils profondément changé?

Depuis des années, on répète en effet qu’il faudrait aller vers une évaluation plus formative et plus formatrice. Les enseignants savent le faire et malgré tout le changement reste peu visible. Peut-être qu’au fond de soi, il y a encore la croyance que la réussite des uns dépend de l’échec des autres!

 

Cette inertie n’expliquerait-elle pas pour partie l’attrait pour les écoles alternatives ou pour une innovation de niche dans le système traditionnel?

Probablement. A Sierre, l’école de Planzette, dont la fermeture a été annoncée, avait mis sur pied un système d’évaluation dénommé «Evalog» que l’on aurait dû à mon sens étendre à tout le canton. C’est une approche efficace qui modifie le statut de l’erreur et qui permet à l’élève d’avoir du temps pour transformer son échec en réussite. Nous pourrions aussi nous inspirer de ce qui se fait ailleurs, où l’évaluation est plus douce, tout en n’étant pas moins exigeante.

 

Peut-on malgré tout espérer une amélioration de notre système scolaire?

Oui et fort heureusement notre école prend progressivement conscience que les processus de l’évaluation sont à questionner, et c’est notamment le cas avec l’annualisation des notes et l’évaluation globale de l’élève. Les enseignants se sentent moins démunis face aux élèves en difficulté, ce qui laisse un peu plus de place au potentiel de réussite. Avant, l’échec était perçu comme définitif, tandis qu’aujourd’hui il est davantage vu comme provisoire, ce qui permet à l’enseignant de partir à la recherche d’hypothèses pour trouver des solutions. Autre élément très positif, notre système scolaire, avec ses passerelles, permet plus facilement de rebondir et de changer de filière. Ainsi, la voie de l’apprentissage a été dans une certaine mesure valorisée au niveau de la société. Sur ces points, il y a eu de belles avancées, mais il y a encore du chemin à parcourir.

 

L’école a-t-elle fait les efforts nécessaires au niveau de l’estime de soi des élèves, du plaisir d’apprendre ou de l’envie ensuite de se former tout au long de la vie?

Ce qui est perturbant, c’est que ces dimensions font partie des finalités du Plan d’études romand, cependant tous les objectifs qui en découlent ne les intègrent pas, d’où une perte de sens des apprentissages. L’école actuelle arrive au terme d’une vision et il s’agit d’en changer.

«Notre école doit s’interroger sur la réussite, l’échec, le statut de l’erreur, l’évaluation, le redoublement, la motivation, etc.»
Pierre Vianin

 

Par quoi faudrait-il commencer?

Je rêverais d’une sorte de grande réflexion sur l’école pour la redéfinir à l’horizon de 2030. Nous sommes dans une période de questionnements à propos des enjeux climatiques et économiques, et nous devrions aussi réfléchir à l’école de demain, en intégrant les familles, les patrons d’entreprise, l’économie, des sociologues, des philosophes de l’éducation, etc. Qu’attendons-nous des adultes de demain? Notre école outille-t-elle les élèves des bonnes connaissances et compétences? L’objectif serait de rediscuter de ce qui est essentiel ou non, en se décentrant des disciplines scolaires.

 

Là ne risque-t-on pas de voir poindre immédiatement la crainte de la baisse de niveau?

Sur certains points précis, comme l’orthographe, il y a déjà une baisse de niveau avérée, mais sur quantité d’autres la hausse est nette. Nos élèves ont de solides bases pour réfléchir, comprendre, analyser, etc. Même si cela peut paraître un peu «réac», je pense que la capacité d’analyse ne peut se construire qu’à partir de savoirs. C’est pour cela que je suis d’avis qu’il faut restaurer des temps de mémorisation. L’école insiste beaucoup sur la compréhension et le raisonnement, oubliant que cela n’est possible qu’à partir d’un certain savoir disponible dans la mémoire à long terme. Autrement, la pensée critique tourne à vide.

 

Si chacun commençait par changer son regard sur la réussite scolaire, et par conséquent sur «l’échec», ne ferait-on pas là un premier pas vers l’école de demain?

J’en suis persuadé. Si l’école publique laisse s’échapper les réflexions sur son indispensable transformation, les écoles alternatives gagneront du terrain, d’autant qu’elles sont déjà en train de se poser les bonnes questions. Notre école doit s’interroger sur la réussite, l’échec, le statut de l’erreur, l’évaluation, le redoublement, la motivation, etc. Selon moi, en se saisissant d’une de ces entrées, la réflexion sera ensuite systémique, car tout est lié. Le focus a été mis sur le redoublement, puisque le sujet est désormais postulat au Grand Conseil.

 

On en revient au débat sociétal sur l’école publique. Qui pourrait le lancer pour qu’il ne soit pas que politique, avec le risque d’une crispation des positions et un traitement insuffisamment ouvert à l’ensemble de la société?

L’école est un gros paquebot, avec tellement d’enjeux, que lancer ce débat n’est pas chose aisée. Je ne sais pas qui pourrait l’initier, mais il y a urgence à mon sens, car on ne peut plus se contenter de changer un hublot ici ou là, sans se demander si le navire est adapté et si nous allons dans la bonne direction. Je ne crois en revanche pas à un modèle «top down» et en même temps il faut ne pas perdre de vue la vision d’ensemble. Peut-être que la HEP pourrait avoir un rôle à jouer, ou les directions d’école…

 

Le danger d’un débat à l’échelle de chaque école ne serait-il pas de créer des inégalités entre les établissements scolaires?

Il est vrai qu’il faudrait assurément un cap général défini collectivement et conserver les évaluations cantonales, tout en les remaniant au niveau des objectifs attendus en fonction des nouvelles finalités qui seraient définies, afin que l’autonomie des établissements puisse s’y inscrire pleinement, mais sans créer des parcours trop inégalitaires. Là encore, il y a un équilibre à trouver. Devrait-on imaginer un groupe de travail, avec du temps et des moyens, qui listerait les questions avant d’amorcer un débat public? C’est aussi une piste.

 

Et que peut faire l’enseignant dans l’attente de ce débat?

Il n’a de prise que dans sa classe. L’enseignant peut commencer par modifier son propre regard, mais il doit le faire dans les limites des objectifs attendus, ce qui est parfois complexe, en raison des paradoxes évoqués.

 
 
Propos recueillis par Nadia Revaz
 

L’échec scolaire à la réussite: accompagner l’élève en difficulté d’apprentissage (De Boeck Supérieur, 2022) écrit par Pierre Vianin.

 
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