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Hommage: articles d'André Giordan parus dans Résonances

Résonances tenait à rendre hommage à André Giordan décédé le 30 mai dernier. Spécialiste de l'apprendre et de l'apprendre à apprendre, il fut professeur à l’Université de Genève et fondateur du Laboratoire de didactique et épistémologie des sciences (LDES).

Voici son dernier article paru en avril 2023 dans le mensuel de l'école valaisanne («Comprendre pour apprendre» dans le cadre d'un dossier intitulé «Apprendre à apprendre - Apprendre à comprendre»). En fin d'article, vous trouverez en version PDF une série de textes qu'il avait rédigés au fil des ans. 
Merci André pour toutes ces réflexions partagées avec les lecteurs de Résonances et pour la collaboration stimulante.

dos Andre Giordan

Comprendre pour apprendre

Apprendre… est une aventure que chacun peut faire toute sa vie. Pourtant, lorsqu’on parle d’apprendre, on pense surtout à l’école. On a fait de ce lieu l’institution de l’apprendre par excellence, alors qu’on peut apprendre partout et en tout temps. Dès lors, il est bon de sortir des évidences.

Tout d’abord, qu’entend-on par «apprendre»? Apprendre signifie-t-il seulement, comme le supposent nombre d’élèves: mémoriser des notions ou retenir des cours? «Apprendre» est devenu avec l’école un «mot valise»; il peut seulement avoir la signification de «retenir» une information. En langage courant, il est traduit par «apprendre par cœur»… une définition par exemple ou une poésie. Cela peut aussi signifier acquérir une nouvelle compétence comme lorsqu’on est en train d’apprendre une langue ou comment résoudre des équations de maths.

Apprendre et mémoriser

 
On reste dans une vision de l’apprentissage très scolaire, voire didactique. Apprendre c’est mémoriser par la répétition, la lecture et la concentration. Nous avons dans notre culture une conception de l’apprentissage qui est intimement liée avec la notion de contrainte, d’effort, voire de douleur. Pourtant, certaines pratiques pédagogiques nous enseignent qu’il est possible d’apprendre librement. Les environnements, Montessori, Freinet, laissent l’enfant libre de choisir une activité parmi celles présentées par l’enseignant. L’intérêt est qu’il va ainsi pouvoir travailler la compétence qu’il a choisie lui-même au moment où il en ressent le besoin.

A contrario, certains adolescents se disent qu’avec internet et toutes les informations numériques disponibles en temps réel, il ne sert plus à rien d’apprendre. Un simple clic et l’élève reçoit en retour le savoir demandé. En aucun cas, toutes ces mémoires externes ne peuvent nous aider à bien raisonner, à bien comprendre le monde comme le font les connaissances qu’on a pu intégrer et bien analyser.

Alors pourquoi apprendre à apprendre? On peut s’interroger sur cette nécessité. En effet, l’Homme a de tout temps appris par lui-même et on peut même dire que le processus d’apprentissage est quelque chose de naturel. C’est vrai, à moins de déficience particulière, l’être humain a toujours été capable d’acquérir des compétences, d’apprendre de ses expériences et de comprendre de nouvelles notions dans une certaine mesure.

Apprendre à apprendre à un enfant (ou un adulte), est alors un «plus». C’est lui donner des clés pour à la fois gagner du temps, mais aussi rendre moins laborieux, et donc plus ludique, le processus d’apprentissage. Qui n’a jamais rêvé de pouvoir retenir plus facilement une page de cours? Qui ne s’est jamais dit que si c’était moins dur, il pourrait apprendre le chinois ou reprendre des études, s’inscrire à un cours pour adultes? Avec de bons outils, c’est néanmoins possible. L’école entretient l’idée que l’apprentissage doit avoir quelque chose de pénible et de difficile. Pourtant, il existe de nombreuses techniques qui permettent de mieux apprendre, d’apprendre plus efficacement, plus rapidement et de manière plus ludique ou d’améliorer notre capacité de rétention. Ces techniques vont apporter à l’apprenant non seulement des méthodologies permettant de mieux retenir, mais aussi de l’autonomie et de l’estime de soi.

frustrated tired student is standing at blackboard and can't solve math example. problems and difficulties of studying at school.

«Apprendre à apprendre, c’est mieux apprendre à réfléchir.»
André Giordan

 
Lorsque le processus d’apprentissage est connu et maîtrisé, que l’élève possède plusieurs outils à sa disposition, il devient bien plus confiant. A l’opposé, lorsqu’une difficulté d’apprentissage se présente et qu’il n’a ni la connaissance des fonctionnements de son cerveau ni les outils pour l’appréhender, il va être confronté au stress. Le stress est nocif pour l’apprentissage et nuit à l’attention. Un vrai cercle vicieux!

Un travers de notre vision éducative actuelle est qu’elle envisage les enfants comme des «réservoirs» à remplir. L’éducation traditionnelle privilégie donc le «par cœur», la connaissance théorique et l’uniformisation des apprentissages. Et cela cause de nombreux dysfonctionnements: mauvaise estime de soi de l’enfant, échec scolaire… L’idée derrière la notion d’apprendre à apprendre est que l’enfant ne soit plus prisonnier d’une méthode figée et universelle. Lui apprendre différentes techniques de mémorisation va lui fournir une véritable boîte à outils dans laquelle il pourra piocher pour ses apprentissages.

En premier, plutôt que de se cantonner à réciter, à relire, à répéter, assis sur une chaise sans bouger, il va acquérir d’autres possibilités. Des astuces mnémotechniques qui utilisent le langage ou le principe de la carte mentale qui sollicite différents types de mémoire vont par exemple permettre à l’enfant de s’approprier le contenu à retenir. Résumer, faire des «sketchnotes» (prise de notes en dessin) ou du «mind mapping» sont des techniques qui permettent d’utiliser d’autres parties du cerveau pour mieux structurer et mémoriser des informations. Elles poussent l’enfant à réfléchir plutôt que restituer sans compréhension.

Au final, apprendre à apprendre, c’est mieux apprendre à réfléchir. C’est certes apprendre à utiliser son cerveau et toutes ses capacités pour retenir une information. Mais contrairement aux techniques classiques, reconnecter l’enfant à ses capacités d’apprentissage c’est aussi lui donner le goût d’apprendre. Un enfant qui prend plaisir à apprendre pourra acquérir toutes les connaissances dont il a besoin. Alors qu’un enfant qui n’a pas le goût d’apprendre, même avec d’excellentes capacités de mémorisation, aura toutes les peines du monde à se motiver et pourra passer à côté d’apprentissages qui lui auraient pourtant bénéficié. Il est donc tout particulièrement utile pour les parents comme pour les enseignants de faire des formations pour accompagner les enfants à apprendre à apprendre.

Mais surtout, si l’élève se trouve face à des savoirs nouveaux, complexes où il n’a pas de solutions immédiates, où il ne peut exister de solutions, seules des approximations peuvent être avancées, voire des questions formulées comme ce fut le cas lors de la pandémie. Dans ces situations, seul l’apprendre à apprendre est la direction d’un début de connaissance. Tel est également le cas en situation de transition écologique.

frustrated tired student is standing at blackboard and can't solve math example. problems and difficulties of studying at school.

Comprendre est un processus jamais achevé.

Les conditions pour parvenir à comprendre

Un pas de plus dans l’élaboration de la connaissance par l’élève reste encore à faire. Dans le langage courant, ne parle-t-on pas d’«appréhender, assimiler, concevoir, entendre, imaginer, interpréter, représenter»? En fait il s’agit de mieux comprendre… Tout élève est capable de comprendre (un texte, une explication, un schéma, une problématique) si on lui explique correctement, entend-on. Le challenge à terme est que l’élève fasse la démarche par lui-même. Comprendre est un processus jamais achevé qui mobilise un large ensemble de fonctions cognitives (mémoire, attention, mémoire de travail…) qui interagissent.

«L’idée derrière la notion d’apprendre à apprendre est que l’enfant ne soit plus prisonnier d’une méthode figée et universelle.»
André Giordan

 
La cognition représente l’ensemble des processus mentaux relatifs au traitement de l’information pour faire surgir du sens. La métacognition est le regard et l’analyse que l’élève porte sur sa cognition. C’est une activité de contrôle, d’évaluation et de régulation. Acquérir une idée pertinente des causes du phénomène étudié, des conséquences, être capable de détecter et d’exprimer des liens avec d’autres systèmes. Les conditions pour parvenir à la compréhension sont multiples:

  •  Etre capable d’associer un sens précis aux mots et concepts composant le système;
  •  Etre capable de repérer des indices, des informations relatives au système étudié et disposer de situations de références qui permettent d’établir des liens avec d’autres situations et exemples;
  •  Etre capable de faire émerger une idée signifiante par rapport à une question.
La métacognition est le regard et l’analyse que l’élève porte sur sa cognition.

Plusieurs paramètres sont à prendre en compte pour améliorer la compréhension: décomposer la complexité, par exemple (étais-je en mesure de réaliser la tâche d’apprentissage, avais-je les connaissances nécessaires, avais-je les compétences requises?). Dans la métacognition, il y a le pilotage par clarification de l’apprentissage, sur les plans de l’organisation, cognitifs et affectifs. Il y a surtout le projet d’amélioration pour poursuivre son apprentissage.

L’auteur de l’activité métacognitive est l’apprenant lui-même, on ne se responsabilise pas par injonction. Or il s’agit d’un cheminement difficile à réaliser en autonomie lorsque l’on est jeune. Il est nécessaire de bénéficier de compétences d’accompagnement de la part d’un enseignant, d’un parent, d’un acteur de l’éducation.

Progressivement, la compétence métacognitive devient un puissant atout permettant à tout élève d’optimiser son parcours de formation. D’où l’intérêt de l’introduire dans la scolarité le plus tôt possible. Le contenu de cette compétence dépasse largement l’objectif d’apprendre à apprendre figurant dans les référentiels officiels. Faire expliciter une explication, oralement ou par écrit, y compris en mode filmé… Faire dire par des mots, ce qui peut être encore du domaine de l’implicite. Faire établir une carte mentale. Lorsque les activités pour la classe sont réfléchies du point de vue des activités mentales que les élèves mobilisent pour comprendre et apprendre, l’efficacité des apprentissages est renforcée et les objectifs visés sont plus facilement atteints. La construction par l’élève de compétences métacognitives est un temps et un passage nécessaires pour faire émerger du sens.
 
 
 

 André Giordan

Ancien instituteur puis professeur à l’université de Genève et fondateur du Laboratoire de didactique et épistémologie des sciences, actuellement dirigé par Laurent Dubois
www.andregiordan.com
 
 

L dos Giordan apprendre

Le dossier en citations

Nouveau projet de culture
L’apprendre comme pivot

«Face aux contraintes physiques, physiologiques, technologiques et économiques auxquelles nous sommes irrémédiablement soumis, parce qu’elles font partie de la biosphère ou de notre histoire humaine ou sociale, il nous faut opposer (ou… inventer) un nouveau projet de culture. Si cette proposition peut paraître trop ambitieuse, commençons par réfléchir à un autre «art de vivre», tous ensemble, en faisant de l’apprendre le pivot…»
André Giordan in Apprendre! (Belin/alpha, 2016, 1re édition en 1998)

 

 

L dos apprendre a apprendre

Le dossier en citations

Apprendre
Qu’est-ce que c’est vraiment?

«Le cerveau n’est pas une page blanche. Il interprète en permanence les informations qu’il reçoit en fonction des connaissances, des expériences, des croyances, des conceptions déjà emmagasinées […].»
André Giordan et Jérôme Saltet in Apprendre à apprendre (J’ai Lu, 2019, 1re édition en 2007).


Articles d'André Giordan parus dans Résonances (liste non exhaustive)

   pdf Comprendre pour apprendre (avril 2023) 

   pdf Vous avez dit autonomie des élèves… (avril 2022)

   pdf Apprendre à vivre dans l'incertitude (février 2021)

   pdf Quels savoirs fondamentaux pour l’école 20/20? (avril 2020)

   pdf Oui, j’ai été cancre! (novembre 2019)

   pdf La dernière mode éducative: les neurosciences (décembre 2018)

   pdf Innover sur l’évaluation pour faciliter l’apprendre… (juin 2018)

   pdf Apprendre plus ou apprendre mieux? (octobre 2017)

   pdf Et si l'on insufflait la confiance en soi à l’école? (octobre 2016)

   pdf Des savoirs fondamentaux… qui manquent à l’école… (mars 2015)

   pdf Innovations ou fantaisie?... (mai 2014)

   pdf Plaidoyer pour une école, à l’horizon… 2020 (avril 2013) 

    pdf Enseigner les techniques à l’école (novembre 2010) 

    pdf Apprendre à apprendre: le regard global d’André Giordan (interview - mars 2010)

    pdf Suivant l’âge, où sont les obstacles à l’apprendre? (décembre 2009) 

    pdf Approche expérimentale en cours de sciences (mars 2009)

    pdf Plaisir d’apprendre versus effort d’apprendre? (février 2006)

    pdf Place du questionnement dans la culture scientifique (mai 2005)

    pdf Pédagogie de la vulgarisation du savoir scientifique (octobre 2001)

    pdf Apprendre? Apprendre! (janvier 2000)